"'Allez vous faire foutre!"


John Densmore

The Doors est surement mon groupe préféré. J'aime tout ce qui touche à ce groupe, à sa musique, à son histoire, à sa poésie et surtout, j'aime Jim Morrison et l'artiste et poète unique qu'il était. Récemment, John Densmore, a publié un livre The Doors, les portes claquent (que je vous conseille fortement) et en a profité pour venir en France pour deux séances de dédicaces il y a quelques jours, à Lyon et à Paris. Malheureusement, je n'ai pas pu me rendre aux dédicaces car ce Samedi, j'avais un partiel mais je suis récemment tombé sur cette interview réalisée par l'Express.fr et du coup, j'étais obligée de la partager sur mon blog.
Dans Les portes claquent, l'héritage tumultueux de Jim Morrison, vous décrivez les coulisses du procès que vous avez intenté contre les deux anciens membres des Doors: Robby Krieger (guitare) et Ray Manzarek (orgue électrique et piano). Six ans d'une bataille légale que vous avez fini par gagner. Au nom de qui, de quoi?
De Jim Morrison et de sa mémoire. Du respect et de l'affection que j'ai pour les Doors. J'ai fait ce procès parce qu'en 2003, trente-deux ans après la mort de Jim, la marque de voitures Cadillac nous a offert un contrat de 15 millions de dollars pour réaliser une pub en utilisant le nom et les musiques des Doors. C'était tentant, mais inacceptable. Jim se serait retourné dans sa tombe... Mon livre commence par une phrase très éloquente qu'il prononça en 1968: 'Allez vous faire foutre!' Il était furieux car il venait de découvrir que Robby, Ray et moi avions accepté 75 000 dollars pour faire un spot publicitaire pour Buick. Le deal consistait à leur permettre de réaliser un clip avec notre chanson Light my Fire comme BO et de changer le texte. A la place de Come on baby light my fire, nous devions chanter Come on Buick light my fire. Jim était écoeuré. Il nous a hurlé dessus, en disant qu'il ne pourrait plus jamais nous faire confiance, que nous étions des marionnettes pathétiques, que nous avions fait un pacte avec le diable et qu'il détruirait une Buick avec une massue si nous osions chanter ces paroles ridicules. En y repensant, l'mage de Jim avec la massue me fait rigoler, c'était tout lui. Mais, il avait totalement raison. Je n'allais donc pas répéter la même erreur! Comme m'a dit Tom Waits: "Quelle drôle d'idée de transformer ses paroles en un jingle!"

Pourquoi aviez-vous accepté à l'époque?
Nous étions jeunes et idiots. Et nous avions besoin d'argent. Mais en voyant la réaction de Jim, j'ai compris.
Vous avez aussi empêché les deux autres membres de jouer sous le nom de The Doors. Pourquoi? 
En ce qui me concerne, les Doors sont morts avec Jim, dans une baignoire, en 1971. Malgré mon désaccord, Ray et Robby ont commencé à tourner sous le nom de "The Doors of the 21st Century". Sur les affiches, on ne voyait que ces lettres géantes dorées composant un nom: "The Doors". J'ai immédiatement écrit une lettre à la veuve de Jim pour lui apprendre que son mari avait ressuscité et qu'il se produisait sur scène. Et qu'apparemment j'étais là aussi, ce qui n'était pas le cas puisque j'avais refusé. J'ai aussi demandé à Ray d'arrêter ce cirque et il m'a promis de le faire. Sauf qu'il a continué. Je n'avais rien contre le fait que Ray et Robby jouent nos chansons, ni qu'elles soient reprises par d'autres groupes, mais je n'aime pas arnaquer les gens. Vous voulez écouter les Doors? Les enregistrements et les vidéos sont disponibles. Mais on ne réinvente pas un groupe comme celui-là sans son leader! C'est n'importe quoi. J'ai donc initié ce procès avec le Morrison Estate, qui a été fondé par les parents et la veuve de Jim Morrison, pour interdire à Krieger et Manzarek d'utiliser le nom du groupe et d'accepter le contrat publicitaire avec Cadillac. Ils ont contre-attaqué, en disant qu'on les empêchait de vivre de leur musique. 
Cela vous a coûté cher. On vous a accusé d'être anti-américain, de "tuer" définitivement l'un des plus grands groupes de l'histoire du rock, d'être un "sale communiste"? 
Absolument (rires). Ils ont tenté de convaincre le jury que j'étais anti-américain parce que je ne soutenais pas une grande usine nationale comme Cadillac. Ils ont témoigné contre moi en disant que jétais également un "éco terroriste" parce que je militais avec la chanteuse country Bonnie Raitt dans des organisations pour la sauvegarde de la planète. J'ai même été arrêté avec elle pour avoir protesté dans la rue contre l'abattage d'arbres séculaires. Tout cela me fait bien rigoler, mais à vrai dire, je me suis senti trahi et très seul. Heureusement, pendant ces six années de procès, j'ai eu le soutien public de musiciens comme Neil Young, Tom Petty, Tom Waits ou Randy Newman. Dans mon livre, le chanteur de Pearl Jam, Eddie Vedder a écrit: "Un jour, je serai "a Dead Rock Star" (une étoile du rock disparue). J'espère vraiment qu'il y aura alors quelqu'un qui possède l'intégrité et l'obstination de John Densmore pour s'occuper de la bonne utilisation de l'héritage de notre musique." Ses mots m'ont profondément touché. 
Tom Petty a déclaré que votre livre était un manuel incontournable pour tout passionné de musique. 
C'est adorable (rires), mais ce qui compte au-delà de ce livre est de constater que beaucoup de musiciens croient encore en quelque chose. C'est le cas, par exemple, de Stewart Copeland (le batteur de Police), qui a joué avec Krieger et Manzarek dans ce groupe appelé "The Doors of the 21st Century"... Et qui, un soir, a lui-même jeté l'éponge et déclaré au micro, en plein concert, qu'il était contre le fait d'utiliser le nom des Doors. Il était conscient du fait que sans ce nom, le "nouveau groupe" n'aurait plus accès aux grands stades et aux limousines. 
David Bowie, Keith Richards, Lou Reed et dernièrement Bob Dylan ont fait des campagnes de publicité. Qu'est ce que cela vous fait? 
Ça n'efface pas leur talent, les merveilles qu'ils nous ont léguées. Quand Bob a fait cette pub pour la marque Chrysler, on m'a demandé ce que j'en pensais. J'ai tout simplement répondu: "Mais, vous ne le savez pas ? Bob n'a plus un rond!" (rires) Et j'ai ajouté: " Cela n'aura pas d'impact sur son génie, mais ça me rend tout de même un peu triste." 
Vous ne trouvez pas qu'il y a une certaine utopie dans le mythe du rockeur pur et dur? 
Il n'y a pas une seule réponse à cette question. Dans mon livre, je reprends ce que Pete Townshend des Who m'a raconté un jour: "Si on tombe amoureux de l'une de mes chansons, je suis content. Je me fiche qu'on la reprenne, qu'on la détourne, qu'on la massacre." Mais avec Jim Morrison c'était différent: il ne connaissait pas la musique, n'avait pas les instruments pour écrire une chanson, mais les mélodies et les paroles jaillissaient de lui sans arrêt. Il ne se sentait pas sûr de lui sans nous à ses côtés: il nous était redevable et disait que, sans nos connaissances et notre maîtrise de la musique et des instruments, ces chansons n'auraient jamais vu le jour. Il a voulu partager les droits de chacune des compositions avec nous. Oui Jim était un pur. Un rockeur? Pas sûr. 
Jim Morrison n'était pas un rockeur? 
Non. Comme moi et les autres membres des Doors, Jim était un passionné de jazz, de country, de flamenco. J'allais écouter John Coltrane quand j'étais petit et je n'oublierai jamais ses conversations avec son saxophone. Jim adorait Coltrane et Ornette Coleman, que je lui ai fait connaître. Il voulait les allier à la poésie de Rimbaud et à la sienne. Il lançait un phrasé comme "What have I done to the earth" et attendait mon improvisation sur ses mots, comme un "call response" dans le blues ou le gospel, mais très free jazz. Avec des ruptures, du slam presque et ce que Coltrane appelait des "sheets of sound", des nappes de son. 
Avez-vous des regrets? 
Non. J'ai écrit ce livre pour expliquer aux fans des Doors la raison de mes actes. Je voulais préserver ce groupe que j'ai tant aimé et ses membres: Jim, Ray, Robby et John. Comment imaginer Police sans Sting, les Beatles sans John ou les Rolling Stones sans Mick? C'est impossible. Et même les Stones, sans Keith Richards et le batteur: impossible! 
Pourriez-vous imaginer les Doors avec Jim Morrison, mais sans les autres membres du groupe? 
J'aime cette question odieuse. Je dirais que le batteur est le coeur battant du groupe, donc non! Stewart Copeland m'a dit qu'il n'arrivait pas à reproduire ce que je faisais sur les chansons des Doors! (rires) Je ne sais pas. Est-ce que Robby à la guitare était fondamental? Oui. Et Ray! Nous n'avions pas de basse dans ce groupe et Ray, de sa main gauche, jouait les lignes et les tempos comme le ferait un bassiste. Il apportait le groove et les bases sur lesquelles bâtir le morceau. Il avait appris le boogie-woogie à Chicago: l'ostinato du début de Light My Fire vient de lui. Et sa main droite s'échappait dans les improvisations, les solos. Je devais tenir le beat et avoir une conversation très ouverte avec Jim. Il faut dire que nous étions tous essentiels, parce que Jim ne pouvait jouer que quelques accords. Qu'est-ce qui a fait l'unicité des Doors ? La cohésion. Ce n'était pas un groupe comme les Beatles, où chaque membre était un véritable compositeur à part entière. Etre un groupe signifie vivre en polygamie, sans le sexe. On doit être d'accord, avoir une réelle interaction basée sur des règles. Les chansons des Doors sont nées d'une empathie, elles ont été composées par tous les membres ensemble. J'aurais joué au nom des Doors pour des concerts de charité, mais pas pour l'argent. 
Quelles ont été ensuite vos relations avec les deux autres membres des Doors? 
J'ai appelé Ray peu avant sa mort. J'ai voulu qu'il lise mon livre. Il a aimé. 
Vos projets? 
Je suis en train d'écrire un livre dont chaque chapitre est consacré à un musicien remarquable que j'ai connu. Son titre est Meeting with Remarquable Musicians: Bob Marley, Ravi Shankar, Bob Dylan.
Vous êtes le parrain du Disquaire Day. Fréquentez-vous les disquaires indépendants? 
Absolument. On y trouve des raretés, des inédits. De plus en plus de musiciens, même les plus connus, veulent que leurs disques soient vendus dans ces endroits qui ont une âme et où l'on trouve des passionnés de musique qui savent vous conseiller. Comme le chantent les Clash dans Lost in a Supermarket, je me sens perdu dans ces grandes surfaces où les albums sont classés sans aucun sens et où rien n'a de sens d'aiilleurs. J'aime aussi les vinyles, leur son, leurs pochettes, ce côté artisanal qui ne doit pas se perdre. La musique n'a aucun avenir si on oublie le passé, elle n'est que stupide répétition. Ces disquaires indépendants appartiennent à une communauté, ils sont tous liés à travers le monde. Ils vendent aussi des livres, des revues. Et c'est à dimension humaine. J'ai voulu que mon livre ne soit vendu que dans ces endroits, parce que c'est là, sur scène et sur le web que tout se passe aujourd'hui.

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